SEL et les SPFPL : coup d’arrêt ou besoin d’un bon pilote ?

2023 a vu se télescoper un revirement majeur de doctrine fiscale sur les rémunérations des associés de sociétés d’exercice libéral (SEL) et une surréaliste jurisprudence assujettissant aux cotisations sociales obligatoires du travail (Urssaf et Carmf) l’intégralité du résultat des SEL et de leur holding, ici leur Société de Participation Financière des Professions Libérales (SPFPL). Cela, que ce résultat soit distribué aux associés ou non, le tout sur fond d’une réforme à venir tout aussi majeure des SEL dont les effets sont attendus pour le 1^er septembre 2024.

Alors même que depuis le 15 mai 2022, il est possible à toute entreprise individuelle (EI) soumise à l’impôt sur le revenu (IR = IRPP) d’opter presque directement pour l’imposition du résultat de son EI à l’impôt société (IS) sans avoir à créer la moindre SEL. Y compris sur le résultat BNC de toute EI membre d’une profession libérale réglementée, dont les médecins. Et si nous utilisons le terme de presque directement, c’est parce que le passage de l’IR à l’IS sous-entend seulement d’assimiler l’EI en question à une EURL sans aucune autre formalité commerciale ou juridique.

Stop, n’en jetez plus ! Voici donc nos analyses et constats :

1. Sur le revirement de doctrine fiscale de décembre 2022 – Bercy a clarifié les choses mi-novembre 2023. Alors qu’elles étaient jusque-là toutes deux aisément assimilables à des salaires, le législateur distingue désormais la rémunération du mandat social (= de la direction et de la gestion de la SEL) de la rémunération des fonctions techniques (= de l’exercice de l’activité médicale). Et impose la rémunération des fonctions techniques aux BNC. Une véritable révolution provoquant une complexification administrative et un alourdissement comptable surenchérissant les coûts de gestion. Mais ouvrant aussi d’importantes opportunités d’optimisation, notamment par l’utilisation du régime Micro-BNC désormais accessible sous conditions précises aux associés de SEL ! Et cela rétroactivement dès le 01/01/2023 pour les associés qui sauront les saisir. C’est l’objet de notre dossier spécialisé de cette semaine (Lettre Réf. F415).
2. Sur la jurisprudence surréaliste du 19 octobre 2023 (Cass. Civ., 2^e ch.,19/10/2023, n° 21-20366) – L’intérêt de constituer une holding-mère contrôlant une ou plusieurs sociétés-filles réside en la séparation légale et totale des bénéficiaires, à chaque étage, de leurs rémunérations versées à leurs associés. Ainsi, un des avantages recherché par ce montage est que cette différenciation entre étage-mère et étage-fille entraîne celle (en général favorable) de leurs prélèvements obligatoires (PO). Or, concernant un chirurgien-dentiste, sa SEL et la SPFPL associée, la décision de la Cour de cassation efface ce cloisonnement fondamental et provoque un séisme dans le paysage des professionnels libéraux exerçant en SEL. A tel point qu’elle remet en cause l’intérêt même de toutes les SPFPL et qu’elle contient en germe une contamination possible aux gérants majoritaires de SARL détenant leurs titres via une holding ! L’affaire est d’une telle importance que le politique vient de monter au créneau, en affirmant que cette jurisprudence « met en grand danger l’intégralité des entrepreneurs indépendants ». Nous attendons que le législateur s’empare du sujet et rectifie le tir de cette jurisprudence assujettissant aux cotisations sociales du travail l’intégralité du résultat des SEL et de leur holding (SPFPL), entité pourtant purement financière = capitalistique soumise aux PO du capital, que ce résultat soit distribué ou non aux associés concernés (personnes physiques ou morales).
3. Sur la vaste réforme des SEL attendue au 01/09/2024  – Issue de l’ordonnance du 08/02/2023, cette réforme est encore dans son incubateur et nous ne pouvons pas en dire autre chose que : — wait and see, comptez sur nous pour vous informer dans le sens de vos intérêts le moment venu.
4. Ne jetez pas l’enfant avec l’eau du bain – Tout au long de l’année, nombre de nos lecteurs nous ont interrogés sur l’intérêt d’avoir créé une SEL, associée à une SPFPL ou pas. Pourquoi avoir fait autant d’efforts et investi autant d’argent et de temps pour, in fine, ne plus savoir du tout quels résultats tangibles et concrets en attendre, voire s’en mordre les doigts ? De telles interrogations sont vraiment salutaires ! Car nos constats sur leurs montages montrent hélas que la grande majorité des SEL de médecins ne tirent déjà — et ce parfois depuis leur origine — que bien peu de résultats tangibles ! Pourquoi ? La raison est simple : c’est l’absence de pilotage par leurs conseils (experts-comptables, avocats, consultants, etc.), à court comme à long terme, une fois l’affaire lancée. Si tant est qu’elle ait été judicieusement lancée, dans les pires cas comme par exemple l’oubli assez courant d’opter pour l’IR en cas de passage en SEL opéré en ZRR où environ 75% des économies visées seraient perdus.
5. Mon avis final en découle : même en présence d’un pilotage automatique, lorsqu’aucun pilote n’est dans l’avion par temps calme et stable, cela devient vite préjudiciable. Mais que dire alors des conséquences délétères lors des temps tumultueux comme en 2023 et assurément 2024 ? Mon conseil reste inchangé depuis des années, plus nécessaire encore demain et les années à venir : sans un très bon pilote pour en infléchir les trajectoires au gré des turbulences législatives et administratives, tous les montages du monde n’apporteront que des résultats hasardeux et exposent au risque ! La question n’est pas celle de l’indication initiale des montages, mais du pilote. Existe-t-il ? Si oui, n’aurait-il pas disparu en vol ? Vous rend-il régulièrement compte des économies générées par son action ? Travaille-t-il autant pour vos intérêts que pour les siens ? Bref, tout ce que l’on peut résumer à une question simple : est-il « bon » ?